par Renaude Gosset

Alexander a beaucoup parlé de l’ »unité psychophysique », disant qu’on ne peut séparer le versant physique du versant mental (« so-called physical side and so-called mental side »). Si l’on ne peut effectivement les séparer, il faut cependant les distinguer, ce qui nous permet de mieux situer l’interférence entre ces deux versants et de jouer sur elle dans la mesure de ce qui est accessible.

Quelle est donc la nature de cette interférence? Elle est liée au fait même de l’émergence de la conscience réflexive chez l’être humain, cette conscience qui non seulement pense, mais peut se penser elle-même et penser l’être que nous sommes. Ceci entraîne la possibilité d’exercer une action sur soi, et dans le cas qui nous intéresse, sur son activité, de régler, de corriger, d’organiser, selon des principes élaborés par la conscience et mis en oeuvre par la volonté.

Ce qui a une double conséquence:

  • la possibilité d’apprentissage
  • la perturbation du fonctionnement naturellement organisé de la matière

En effet, je suis frappée depuis longtemps par les états de fixité des yeux, de la tête, du cou, etc, qu’entraîne une certaine forme d’attention, de « prise de conscience », d’observation de soi, dans le travail de la Technique, ainsi que dans la vie courante. Comme si une séparation s’opérait dans le corps entre la tête et le reste de ce corps, séparation qui illustre l’identification, la confusion, de la tête et de la pensée, du cerveau et de la pensée. Le cerveau n’est pas la pensée, il en est le substrat.

La pensée ou la conscience ne sont pas réductibles au cerveau.

La musique est-elle réductible à l’instrument?

L’une des interférences entre corps et pensée me paraît se manifester dans ce curieux phénomène de mobilisation musculaire fixée, particulièrement au niveau de « l’organe de la pensée », à savoir la tête. Mais la tête c’est du corps, il ne faut pas l’oublier, ni oublier de le dire.
Il me parait important de bien réaliser cette différence de nature entre pensée et matière.

Leur coexistence et leurs rapports, leurs influences réciproques et leur rassemblement dans un sujet, ne font pas une unité. Une unité dynamique subjectivement perçue ne fait pas une unité de nature. Poser une unité de nature en préalable me parait aller dans le sens d’une interférence confuse.

La technique de l’inhibition traite très exactement de cette interférence, en introduisant un suspens entre le stimulus (la pensée) et la réponse (le corps).

Je pense que la Technique, loin d’être une technique corporelle, est plutôt un travail sur la relation du sujet avec lui-même en tant que sa pensée est incarnée et c’est pourquoi je crois que nous devons faire appel, de manière permanente, au sujet en tant que sujet -de désir, de projet, de présence- se percevant tel, mettant en jeu cette activité de la conscience, la sienne, ici et maintenant, dans cet espace-là, concret, qui le délimite et le soutient, en tant que matériau réel et perçu, et dont il est le centre pour lui-même. Et ceci non pas dans la méconnaissance de l’hétérogénéité matière-pensée, mais dans sa pleine reconnaissance. Si nous ne le faisons pas, nous manquons l’être et le petit degré de liberté supplémentaire que nous pouvons nous accorder.


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Avec l’aimable autorisation de Renaude Gosset


Alexander Technique Brussels