par Renaude Gosset

L’être humain a la caractéristique d’être un « animal pensant », composition de deux modes d’être qui fonctionnent obligatoirement dans une certaine opposition, chaque mode -pensée et corps- ayant tendance à exclure l’autre. Ce combat se négocie plus ou moins bien, selon les personnes, selon les moments, selon les activités.

Cet antagonisme est depuis toujours un sujet de réflexion philosophique.
Le décrire, l’élucider, le résoudre est une très ancienne entreprise, et celle de F.M. Alexander (1869-1955) qui est parti très concrètement d’un problème qui lui était personnel, représente une démarche expérimentale qui apporte des pistes originales. Ce problème était celui de la voix.

En effet Alexander, qui était acteur, se mit à souffrir d’enrouement et de difficultés vocales que la médecine se révéla impuissante à traiter. Il fit donc l’hypothèse que c’était sa façon de fonctionner qui entraînait le trouble et non pas une fragilité physiologique particulière. Ceci l’amena à examiner minutieusement ce qu’il faisait quand il disait son texte. Il découvrit, en s’observant dans un ou plusieurs miroirs, qu’il faisait toute une série d’actions dont il n’avait pas eu conscience avant de les voir dans le miroir. Imaginant que ces actions avaient un rôle dans ses troubles, il tenta de les corriger. Il y réussit dans une certaine mesure, mais il se rendit compte après un long travail qu’il ne pouvait pas venir à bout de ses habitudes compulsives par la correction, c’est-à-dire en croyant substituer une action à une autre, et en fait en ajoutant une tension à une autre. Il découvrit que la décision de ne pas mettre à exécution immédiatement l’action qu’il avait l’intention de faire lui permettait de désamorcer les tensions et les gestes habituellement associés à l’action.

Il comprit aussi, en constatant que les tensions qui existaient à un endroit en généraient d’autres dans une sorte de réaction en chaîne, que la notion d’unité du système était essentielle.

L’accomplissement satisfaisant d’une activité nécessitait donc deux conditions:

  1. Désamorcer les habitudes compulsives en introduisant un court suspens entre le stimulus et la réponse.
  2. Favoriser l’unification du corps entier, celle-ci dépendant d’une relation harmonieuse
    entre la tête, le cou et le tronc.

Cette procédure a montré, dans sa pratique, que la réalisation de la première condition était déjà la réalisation de la seconde. Et, en effet, si nous cessons d’interférer avec un fonctionnement naturel permis par nos apprentissages les plus anciens, à une époque de notre vie où notre conscience n’avait pas encore la conviction de son pouvoir hégémonique, notre système vivant peut s’organiser de lui-même selon sa logique propre.

Certaines gymnastiques, certaines relaxations sont capables d’optimiser le fonctionnement du corps, son unification, sa souplesse, mais elles n’abordent pas le problème posé par l’action, car aussi réharmonisé que soit le corps, cela ne va pas suffire à empêcher le sujet, qui ne peut se réduire à un corps, de remettre en route dans son activité ses stéréotypes d’action, ses théories plus ou moins conscientes sur « ce qu’il faut faire », celles-là même qui ont produit les dysfonctionnements qu’on tente de régler par les gymnastiques.

Il s’avère que cette démarche, très pragmatique à l’origine -en l’occurrence, pour Alexander, résoudre son problème vocal- a montré qu’elle était applicable à toutes les activités, mais aussi qu’elle favorisait une amélioration de la présence à l’espace et à l’environnement, une meilleure écoute, une plus grande tolérance à l’inconnu, une plus grande possibilité d’être en soi et non hors de soi dans les rapports avec l’autre. Ce qui n’est pas tellement étonnant si l’on admet que les messages qui nous parviennent de notre être vivant, qu’ils soient conscients, préconscients ou inconscients nous in-forment, au sens étymologique du mot.


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Avec l’aimable autorisation de Renaude Gosset


Alexander Technique Brussels